Sunday, April 18, 2010
Pinocchio de Winshluss (Les Requins Marteaux) 30 Euros
Je me souviens encore avoir ressenti un profond malaise en regardant l'adaptation de Pinocchio à un moment précis. Le film en lui-même ne m'a pas véritablement affecté mais une scène en particulier m'est revenu à l'esprit en lisant ce volume : celle où un petit garçon se transforme en âne. De voir cet enfant que j'aurais pu être crier de peur en voyant son corps perdre sa forme humaine et devenir un simple animal m'a énormément effrayé. Comme la réalisation d'une possible perte du contrôle de soi et de ce que l'on peut considérer comme acquis.
Je n'en ai jamais parlé par la suite avec des amis et je ne crois pas non plus avoir lu d'expériences similaires vis-à-vis de cette scène. Peut-être étais-je (et suis-je) très impressionnable? Le souvenir de cette sensation de malaise ne m'a pourtant pas quitté et c'est juste fixé dans mon esprit en lisant l'adaptation de la même histoire par Winshluss. Rien non plus de ce volume ne m'a évoqué la même sensation. Les évènements y sont pourtant beaucoup plus terrible mais j'ai aussi grandit (facilement vingt ans de plus, ça se ressent). Je n'ose par contre pas imaginer que j'aurais fait de cette histoire à huit ans...
Cette relecture de Pinocchio expurge tout principe morale pour ne laisser que le besoin de chaque personnage de faire sa vie sans faire attention aux autres. La morale que les films de Walt Disney dispensait aux spectateurs est remplacé par toute la crasse et la bêtise dont l'humanité est capable autour de ce petit enfant mécanique qui devient très vite le spectateur, et l'hôte, de la violence la plus grotesque et la plus pathétique. Winshluss ne cherche pas pour autant le malaise, ni la violence. Il pince toutefois aux bons endroits pour que le rire soit toujours grinçant sans être malsain. Il empreinte pour se faire à toutes les écoles de la bande dessinée humoristique française. Le meilleur de Fluide Glaciale (Gotlib, Maester) a été digéré, de même que l'humour de comptoirs de Vuillemin.
Au contraire de ce dernier, il n'y a pour autant rien de gratuit dans l'histoire (ou les histoires) que raconte Winshluss. Si il introduit une scène en apparence étrangère la logique de l'histoire, c'est pour mieux s'en servir plus tard. De même, puisque l'on parle de narration, seul le personnage de Jiminy le cafard (les criquets sont trop sympathiques), ainsi que l'inspecteur, parlent. 188 pages et pratiquement pas de dialogue sans que cela nuise à la compréhension de l'histoire! L'histoire conté par Winshluss est pourtant loin de respecter celle d'origine et il n'a donc aucune béquille sur laquelle se rattraper.
Son graphisme synthétise aussi parfaitement ce mélange entre l'univers enfantin et la perversion humaine à son plus grotesque, son plus pervers et son plus ridicule et chaque case est une merveille dans lesquels des bulles de textes n'ont besoin d'en rajouter pour traduire l'action ou apporter une dimension supplémentaire. Winshluss parle avec ses crayons, ses pinceaux et son talent et son dessin se suffit à lui-même pour nous faire sourire, grincer des dents et rire tout à la fois. Les pleines pages sont des plus superbes quand elle permette à son imagination de s'exprimer à pleine voix mais il suffit parfois de se pencher sur une seule case perdu en coin pour retrouver aussi tout le talent de l'auteur. Perdu entre deux galaxies qui n'étaient jamais censés se rencontrer : la bande dessiné comique et grossière et le roman graphique intellectuel prisé par les lecteurs de Télérama, Pinocchio est une œuvre à part et complètement géniale.
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