En interrogeant la relation entre l'esprit et le corps, Descartes mis sur le doigt sur un sujet qui lança la philosophie et plus tard la neurobiologie sur de nombreuses autres questions. Depuis, la question s'est déplacé en découvrant que le lien de cause à effet n'était pas aussi évident que le pensait le philosophe (voir "L'homme qui prenait sa femme pour un carton a chapeau" de Oliver Sacks) mais elle reste d'actualité ailleurs.
Ainsi, le zombie ne pense pas mais existe toujours. Est il pour autant un être humain ? Le héros de Deep Sleeper, piégé par les rêves qui hante ses nuits, n'en perd pas pour autant son essence quand il découvre la route qui le mène vers l'univers des rêves mais y perd le contrôle de son propre corps. Sous la forme d'une entité mi spirituel, mi fantasmatique, il devra alors partir à la reconquête de son propre corps, de sa vie et du plus important, sa famille.
Deep Sleeper, scénarisé par Phil Hester et illustré par le brillant Mike Huddleston, fil conducteur de ces trois histoires, y conte un récit d'aventure où se confronte le corps et l'esprit pour la conquête de l'identité. L'histoire écrite par Phil Hester prend vie sous la plume de Mike Huddleston dont le trait souple et le mariage du noir et du blanc rend à la fois réel le monde dans lequel évolue le corps du héros ainsi que celui où son esprit passe ses nuits. L'imagination du scénariste et de son héros écrivain prenne forme avec autant de forces que les mots. Indiscociable, cette histoire n'aurait pas eu la même vitalité si elle avait été laissé sous la forme d'un roman, laissant le lecteur le loisir de créer son propre monde mais sans profiter du talent d'Huddleston. Autant capable de donner vie aux rêves qu'aux êtres humain, son style donne du volume aux êtres et aux objets, plongeant le lecteur dans la page. Pourtant encore jeune, les deux auteurs mèlent leur inspiration avec une maitrise de la narration et des idées. L'oeil n'est donc jamais perdu malgré les nombreuses variations de structures du récit.
Cette maitrise se retrouvait déjà dans The Coffin (Sarcophage en français), première collaboration entre Phil Hester et Huddleston. Moins aéré et surtout beaucoup plus sombre, le volume présentait par l'éditeur français comme une relecture du mythe de Frankenstein prend en fait au pied de la lettre la réflexion de Descartes. La pensée, ou plutôt l'âme, d'un scientifique se retrouve enfermé dans une corps mécanique. Privé de son enveloppe charnelle, l'homme va alors se rendre compte de ce qu'il a perdu durant toute sa vie et entreprendre de réparer ses erreurs. La mort est alors vécu comme un deuxième départ. Départ que tente d'éviter le milliardaire qui avait financé ses recherches et le pourchasse alors par tout les moyens afin d'avoir lui aussi la chance de continuer a vivre dans une enveloppe moins fragile.
La problématique est ici inversé. Comment vivre quand on a plus de corps ? Plus sombre et plus violent que Deep Sleeper, The Coffin ne manque pas pour autant de profondeur. L'influence Mike Mignola (Hellboy) et de Katsuhiro Otomo (Akira) y est visible mais n'en fait pas pour autant perdre en originalité au récit. Bien plus qu'une simple adaptation futuriste de Frankenstein, la création de Hester et de Huddleston se place dans la continuité de l'adaptation en film animé du chef d'oeuvre de Ghost in the Shell de Masamune Shirow par Mamuro Oshi et fait découvrir a un homme ayant pris les traits d'un assemblage mécanique ce qu'est l'humanité. Bien que l'histoire laisse en suspend quelque questions, on sort de cette histoire, de même que de Deep Sleeper, avec l'impression d'avoir vécu au coté de ses protagonistes. Les répliques sont naturelles pour ces personnages de papier prenant vie par la magie des cases.
Enfin, le récit le plus récent qu'a illustré pour l'heure Huddleston se nomme Mnemovore et a été conçu en compagnie de Hans Rodionoff et Ray Fawkes pour le scénario. La thématique de la perte d'identité se prolonge pourtant dans le combat que mène une jeune skieuse amnésique pour découvrir qui il est, prise entre les désirs de ses proches de "réécrire" sa personnalité et l'appétit d'une créature se nourissant des souvenirs cherchant à l'éliminer de l'esprit de chacun. Plus long et pourtant moins dense que les deux histoires précédentes, Mnemovore n'est pas pour autant une oeuvre raté mais juste moins complète que l'univers complexe crée par les scénarios de Phil Hester où la plupart des personnages deviennent attachant et vivant par l'expression de leur volonté a vouloir tirer la couverture du scénario sur eux. II y aurait par exemple beaucoup à dire sur la vie du milliardaire fou de The Coffin ou celle des deux samurais de Deep Sleeper. Mnemovore par contre se divise entre deux personnages dont seule la jeune Kaley Markowic ressort vraiment.
De plus, la coloration des planches de Huddleston fait perdre l'ambiance particulière que ses deux récits précédents, tout les deux noirs en blanc, gagnait par la richesse du contraste entre la lumière et l'obscurité. Cependant, en prenant autant d'espace, l'héroïne n'en est pas moins attachante et son combat pas moins prenant. La question de l'identité y est traité d'une manière plus réaliste avec toujours une contre partie fantastique et horrifique prenant la forme de monstres tentaculaire bien moins effrayant que l'idée même de ne plus rien évoquer aux yeux de ses proches.
Je pense et je suis. Je pense donc je suis. Je pense donc je suis mais qui suis je dans l'esprit des autres. Trois questions qui nous amène a des questions beaucoup plus effrayantes que les monstres qui hantaient le dessous de nos lits. Qui sommes nous et pourquoi vivons nous. Les oeuvres qu'illustrent Huddleston ne sont pas de simples histoires visant a faire sursauter ou choquer mais marque et interroge le lecteur comme se doit de faire tout bon récit fantastique. Que sais ton de soi même et des autres ? Bien que dessinateur et non auteur des mots qui sortent de la bouche de ses créations, Mike Huddleston n'en est pas moins le créateur dont le talent est un ingrédient essentiel à la vie de ses histoires. Sans son crayon, les visages des personnages de Mnemovore ou de Deep Sleeper ne nous apparaitrait pas comme des personnages aussi humains et sympathique. Leur combat n'aurait pas le même intérêt et les mots qui sortent de leur bouche par des bulles resteraient des mots dénué de vie. Paradoxale pour de simples dessins mais essentiel quand il s'agit de bande dessinés. Aujourd'hui encore très peu connu, Mike Huddleston gagne a recevoir tout l'attention qu'une jeune talent aussi prometteur et riche peut délivrer au monde de la bande dessinée.
Sunday, January 11, 2009
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